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Ce blog contient un recueil de textes (1) qui nous ont paru intéressants dans le cadre des réflexions sur la question "Europe et laïcité".
Ce recueil de textes sera enrichi au cours de nos travaux.
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mercredi 30 juin 2004

La laïcité dans le monde - M Chemillier-Gendreau

Monique Chemillier-Gendreau
Professeur à l'université Paris VII, membre de l'Union rationaliste

Source : Raison présente - "Une laïcité pour l'avenir" - N° 149-150

La question de la laïcité dans le monde mérite une réflexion spécifique car la problématique de la laïcité dans l'espace universel est différente de celle que nous connais­sons dans un pays comme la France ou à l'échelle européen­ne. Le niveau de gravité n'est pas identique, non plus que les termes du débat. En effet, en Europe, même dans les États qui n'affichent pas la laïcité comme principe constitutionnel ou dont les chefs d'État ont des fonctions religieuses, il y a un niveau de sécularisation du pouvoir suite à une longue histoi­re qui a commencé vers le xr ou xir siècles et qu'aucune autre région du monde n'a connu de la même façon.
Cette histoire a été celle des Deux corps du roi » (selon l'intitulé de l'ouvrage d'Ernst Kantorowicz, Gallimard. 1957) à travers laquelle le corps politique du souverain s'est trouvé soumis aux formes émergentes de constitutionnalisme, pre­mière expression de ce que l'on nomme aujourd'hui l'État de droit. Et l'invocation de l'origine divine du pouvoir n'a pas empêché la montée en puissance des légistes royaux ouvrant le sillon des premières formes (très limitées il est vrai dans la première période) de sécularisation. L'Église a résisté comme en a témoigné la « Querelle des investitures », mais une certai­ne sécularisation du pouvoir a cependant poursuivi sa route.
Cette histoire est étrangère aux autres continents et le mimétisme constitutionnel qui a fleuri dans certains États, notamment ceux du Proche Orient ou de l'Afrique sub-saha-rienne après la décolonisation, a exporté une sécularisation en trompe l'œil. Celle-ci s'est heurtée à un obstacle fonda­mental : en effet, cantonner le concept de religion en dehors du pouvoir temporel, conquête difficile et fragile de certaines sociétés chrétiennes, n'est pas compatible avec les fonde­ments de l'islamisme ou du judaïsme.
On peut donc affirmer qu'il n'y a pas de laïcité dans lemonde et mon sujet serait alors un non sujet. Paradoxalement,je vais m'y attarder cependant et développer ici trois séries de considérations : les premières pour prendre la mesure de cetteabsence de laïcité ; les secondes, pour montrer comment unmonde sans une laïcité bien comprise est un monde vouéimmanquablement à la destruction par des guerres incessantesi et sans merci; les troisièmes, enfin, pour relever toutes les incertitudes qui pèsent sur le contenu de la laïcité et les condi­tions non remplies pour en faire un concept universel. Il restedonc un important travail à mener pour convaincre du carac­tère impérativement universel de la laïcité.\ La laïcité est un concept inconnu dans le monde. Il est; inconnu à deux échelons : celui des États eux-mêmes et celuides relations entre les États. (_---)
Nous avons besoin désormais de l'affirmation d'un principe de laïcité dans le champ international pour deux rai­sons : comme une règle supérieure aux États et s'imposant à eux en sorte qu'un État ne pourrait plus pratiquer de discri­minations entre ses citoyens sur des bases religieuses ou de convictions quelles qu'elles soient. Nous avons vu que les textes qui existent sont très insuffisants et du point de vue de la clarté sur les principes et en force contraignante. Mais nous aurions besoin aussi d'un principe de laïcité mondiale pour présider aux relations entre États et aussi à ces relations nou­velles constitutives de la mondialisation qui sont des relations transnationales. Celles-ci sont le fait des acteurs sociaux très diversifiés qui caractérisent l'époque contemporaine : ONG, acteurs financiers, groupes de pression divers. Ils ont tous une action désormais transfrontière et sont dans beaucoup de situations marqués d'une appartenance religieuse quand ils ne sont pas des sous-marins des Églises. Il est vrai que parmi les élites gouvernantes de ces groupes, il y a souvent des per­sonnes éclairées (pas toujours), mais le fanatisme et l'aveu­glement l'emportent fréquemment à la base et l'on en arrive à la situation extrêmement explosive qui est la nôtre. Dans le monde entier, les affrontements entre États ou à l'intérieur des États sont mêlés d'antagonismes religieux.
La question de la laïcité est liée à celle de la commu­nauté politique, qu'il s'agisse des communautés politiques nationales constitutives des États modernes ou de la nécessité d'une communauté politique universelle encore toute entière à venir en dépit de l'urgence où nous sommes de la consti­tuer. Le problème est le même quelle que soit l'échelle de la communauté politique en jeu.
Dans les difficultés à vouloir constituer cette utopie d'un monde pacifié à travers un droit fondé sur la raison, il y a celle qui tient aux ambitions temporelles des grandes reli­gions. Celle qui agite le plus les cénacles actuellement est l'islam. Tout simplement parce que c'est celle qui affiche offi­ciellement la soumission de la loi temporelle à la loi divine. Ce qui est inquiétant, c'est qu'il n'y ait pas vraiment dans le monde de la pensée arabe contemporaine, de mouvement intellectuel capable d'entraîner cette sphère de la planète vers un réel mouvement de séparation du pouvoir temporel et du pouvoir religieux. Il semble que le travail des philosophes ou politologues arabes s'oriente plutôt pour le moment vers la recherche d'un travail de synthèse de la croyance et de la rai­son, mais non d'indépendance de la raison. ^
Une dernière série de remarques permet de pointer les plus graves difficultés. Pour prôner la laïcité dans le monde, il faut des arguments. L'argument principal est qu'il y a là une condition incontournable de la réalisation de la démocratie. Les quelques pays qui se prévalent d'une sécula­risation du pouvoir et de l'exercice de la démocratie sont aujourd'hui enfoncés sur ces deux terrains dans des contra­dictions régressives qu'il est impossible d'ignorer. La remarque est valable pour l'Europe, mais elle l'est principale­ment à l'échelle mondiale.
L'universalisme s'accomplit actuelle-1 ment par le marché qui déborde et affaiblit les États. Il enrésulte de violentes inégalités qui entraînent une remontéedes croyances les plus aveugles et les plus fanatiques. Il est vrai que les croyances se développent lorsque les sociétésI ont peur. Or, les sociétés prises dans le mouvement de la; mondialisation ont bien des motifs d'avoir peur, placéescomme elles le sont devant les menaces que représentent leschangements climatiques ou le développement des armes oui de l'industrie nucléaire. Il faut répondre à ces peurs par la rai­son. Or, les pays les plus avancés dans le domaine scienti­fique ne sont pas ceux dont les gouvernements sont les plusrassurants, ni les plus raisonnables. Et ils ne tirent pas. loin delà, les conséquences politiques rationnelles des données dela science. Alors que les périls sont universels, les replis sont\ communautaires et fondés sur des croyances qui en se dres­sant les unes contre les autres augmentent les menaces.; La crise de l'ONU liquide l'espérance de 1945, celle de! la création d'un lieu de solution des conflits à l'échelle inter- nationale. N'ayant ni la culture mondiale de la laïcité quiserait nécessaire, ni les institutions démocratiques permettantd'équilibrer les pouvoirs à l'échelle internationale, la société internationale n'a aucun outil de régulation de la violence,alors que le système économique élargit chaque jour lesinégalités. Ainsi la montée des violences dont nous sommesles témoins n'a-t-elle pas lieu de nous étonner

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