Jean Baubérot
Directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes
Avec nos bâtons bien lisses, nous vivons une crise de la réussite. Nous avons, sans le savoir (et c'est cela le plus grave : cette perte ou ce refus de savoir), socialement perdu le sens du symbolique, et même, de façon générale, de la représentation. Or le symbolique constitue un lien entre la réalité que nous voyons et celle qui nous échappe. Dans le symbole, il existe une réalité empirique, constatable de façon évidente (le bâton). Mais ce bâton prend de l'importance parce que les petits détails formés par ses aspérités ne sont pas sans signification. Son sens, sa représentation, déborde sa réalité empirique, il constitue une abréviation, une condensation de toute une histoire, et renvoie donc à autre chose qu'à son empirie constatable par tout un chacun. Il faut savoir décrypter sa signification.
Ainsi, il est capable de créer du lien ou du conflit par delà le temps et l'espace. Mais s'il n'existe que des bâtons rabotés, tous formatés à l'identique ou selon des critères en apparence fonctionnels, alors la réussite matérielle de la société se double d'une faillite symbolique. Nous parlons toujours clé « contrat social », mais comme il ne s'agit pas d'une ! réalité empiriquement constatable, l'expression a perdu sa ! force, et même elle ne fait plus sens. Il se produit une crise du lien. Loin de produire une société apaisée, le flottement généralisé du sens, son instrumentaUsatton par la sphère marchande, s'avère boomerang. Tout un pan de ce qui se passe apparaît incompréhensible. Les fondamentalistes religieux prospèrent car la société globale elle-même est une société qui raisonne au premier degré. Elle est, du coup, englobée par des structures symboliques qu'elle ignore, qu'elle ne sait pas décrypter. Elle ne maîtrise pas la dialectique du lien et du conflit. Et ce refus d'une intelligence du symbolique n'est pas neutre : une démarche d'objectivation nécessite d'affronter, comme l'indique Max Weber, des « faits désagréables », elle implique une autoanalyse, une remise en question.
En effet, notre bout de bâton établit un clivage entre frères, alliés et inconnus, adversaires potentiels. Et c'est ainsi que souvent fonctionnent des symboles religieux et non religieux : que l'on pense à la bataille pour donner à l'Europe le bâton d'un « héritage chrétien»
qui aurait relégué définitivement la Turquie musulmane...et laïque dans les ténèbres extérieurs, que l'on pense au drapeau, et, dans la France d'aujourd'hui, au bâton du prénom ou de la couleur de la peau pour obtenir un emploi ou un logement. Et il faudrait là parler longuement du problème de la « religion civile - républicaine qui a eu aussi historiquement ses exclus : les femmes qui ne pouvaient avoir le droit de vote parce qu'elles étaient, soi-disant, « sous la dépendance du curé », les musulmans d'Algérie qui n'avaient pas droit à la citoyenneté parce qu'ils étaient censés ne pas partager la « profession de foi civile » (Claude Nicolet, citant implicitement Jean-Jacques Rousseau) républicaine. Aucune religion, qu'elle soit religieuse ou séculière ne ressort indemne de l'analyse du symbolique. Aucune ne sort indemne de la transgression de la domination symbolique que représente un enseignement laïque des religions, dont le but est, précisément, de permettre à ceux qui sont extérieurs à telle ou telle conviction d'en avoir des clefs culturelles, des possibilités d'analyse. Il s'agit d'être capable de déconstruire le symbolique, sans le détruire pour autant, car adhésion ou refus restent affaire de choix personnel, de pratique sociale de la liberté de conscience.
Cette mutation épistémologique n'a-t-elle pas à voir avec la démocratie et la laïcité? L'autre est un autre nous-même. Il ne doit pas être considéré comme un ennemi, il ne doit pas être, au sens strict du terme, un in-connu. Ainsi des bâtons peuvent avoir des arêtes sans que leur non emboîtement soit une quasi-déclaration de guerre. Ainsi il existe des « dedans » et des « dehors » - sinon gare à la logique déshumanisante de l'équivalence généralisée - tout en ouvrant largement portes et fenêtres, en pratiquant l'accueil de l'autre, y compris en l'invitant chez soi. (…)
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mercredi 30 juin 2004
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