Bienvenue sur ce blog

Ce blog contient un recueil de textes (1) qui nous ont paru intéressants dans le cadre des réflexions sur la question "Europe et laïcité".
Ce recueil de textes sera enrichi au cours de nos travaux.
N'hésitez pas à insérer des commentaires à la suite de chaque message.
Pour être informés en temps réel de toutes les mises à jour, inscrivez vous comme "abonné fidèle".

(1) Messages dans le langage du blog

mercredi 30 juin 2004

La liberté d'opinion - Pierre Dazord

La discussion sur la liberté ressurgit à propos de liber­tés particulières ainsi la liberté d'opinion (article 10) 2l. Une grande partie de la discussion tourna autour de la liberté reli­gieuse, clé la tolérance des non-catholiques et de la liberté de culte. Les premières rédactions proposées pour le futur article 10 furent combattues par le comte de Castellane car « [on ne faisait pas] une loi sur la religion puisque [l'on faisait] une déclaration des droits *. Ce qu'il fallait c'était énoncer « le plus sacré de tous les droits, celui de la liberté des opinions reli­gieuses » n, A ceux qui recherchaient l'appui de l'État à la religion, Laborde répondit : « j'avoue que je suis affligé de voir les chrétiens invoquer l'autorité civile pour une religion qui ne doit se maintenir que par la pureté de sa doctrine » a. Deux hommes dominèrent le débat, le comte de Mirabeau et le député de Nîmes, issu d'une vieille famille protestante, Rabaut Saint-Etienne. D'emblée, le 22 Août, Mirabeau s'inscri­vit en rupture avec l'édit de 1787 de tolérance des non-catho­liques. «Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui essaye de l'exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser, par cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolé­rer »24. Le lendemain Rabaut Saint-Etienne lui fit écho : «Je ne fais pas [à la nation française] l'injustice de penser qu'elle puisse prononcer le mot d'intolérance ; il est banni de notre langue... Mais, Messieurs, ce n'est pas même la tolérance que je réclame : c'est la liberté. La tolérance! le support! le par­don! la clémence! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant il sera vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance! je demande qu'il soit proscrit à son tour; et il le sera ce mot injuste... • K et il demanda l'égalité en droits pour tous, citant explicitement les protestants et les juifs. « L'intolérance d'orgueil et de domination a, durant près de 15 siècles fait couler des torrents de sang » mais, poursuivit-il, aujourd'hui - ma patrie est libre, et je veux oublier comme elle, et les maux que nous avons partagés avec elle, et les maux plus grands encore, dont nous avons été les seules victimes »26.
En conclusion, rappelant que le culte est nécessairement une manifestation commune à plusieurs croyants, le culte d'un seul étant une prière, il souligna que l'idée d'un culte est un article de foi, une opinion religieuse, qui relève de la libertéd'opinion. Ce faisant il rejoignait Mirabeau demandant « deprononcer hautement la liberté religieuse » 27 et de veiller à cequ'aucun culte ne trouble l'ordre public 28 en rejetant la rédaction initialement proposée, l'Assemblée refusait de don­ner la priorité aux cultes et de se préoccuper de leur défini­tion, de leur organisation, de leur protection et de leur défen­se éventuelles, pour donner la priorité absolue aux opinionsreligieuses et à leur liberté avec toutes les conséquences quececi impliquait au plan du culte. Ainsi, dès le 23 Août, l'Assemblée rompait totalement avec la logique du régimeantérieur (de droit divin) d'organisation et de protection ducatholicisme avec une timide ouverture vers le protestantis­me, en adoptant l'article 10 : « Nul ne doit être inquiété pourses opinions même religieuses, pourvu que leur manifesta­tion ne trouble pas l'ordre public », qui consacrait troischoses : Toutes les opinions sont libres et en particulier lesopinions religieuses autre que la dominante ne sont pas uncrime, les opinions religieuses n'ont aucun statut particulierqui leur serait conféré par leur références transcendantales ce qu'exprime l'adverbe même 29, et, rentrant dans le droit com­mun, la seule chose qui leur est demandée ainsi qu'à toute opinion, c'est que leur manifestation respecte les droits del'homme et du citoyen.
"Actualité des fondements philosophiques de l'idée laïque"
Actes du colloque de l'Union Rationaliste : "Une laïcité pour l'avenir" publiés par "Raison présente".

Déconstruire le symbolique

Jean Baubérot
Directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes

Avec nos bâtons bien lisses, nous vivons une crise de la réussite. Nous avons, sans le savoir (et c'est cela le plus grave : cette perte ou ce refus de savoir), socialement perdu le sens du symbolique, et même, de façon générale, de la représentation. Or le symbolique constitue un lien entre la réalité que nous voyons et celle qui nous échappe. Dans le symbole, il existe une réalité empirique, constatable de façon évidente (le bâton). Mais ce bâton prend de l'importance parce que les petits détails formés par ses aspérités ne sont pas sans signification. Son sens, sa représentation, déborde sa réalité empirique, il constitue une abréviation, une condensa­tion de toute une histoire, et renvoie donc à autre chose qu'à son empirie constatable par tout un chacun. Il faut savoir décrypter sa signification.
Ainsi, il est capable de créer du lien ou du conflit par delà le temps et l'espace. Mais s'il n'existe que des bâtons rabotés, tous formatés à l'identique ou selon des critères en apparence fonctionnels, alors la réussite matérielle de la société se double d'une faillite symbolique. Nous parlons tou­jours clé « contrat social », mais comme il ne s'agit pas d'une ! réalité empiriquement constatable, l'expression a perdu sa ! force, et même elle ne fait plus sens. Il se produit une crise du lien. Loin de produire une société apaisée, le flottement généralisé du sens, son instrumentaUsatton par la sphère mar­chande, s'avère boomerang. Tout un pan de ce qui se passe apparaît incompréhensible. Les fondamentalistes religieux prospèrent car la société globale elle-même est une société qui raisonne au premier degré. Elle est, du coup, englobée par des structures symboliques qu'elle ignore, qu'elle ne sait pas décrypter. Elle ne maîtrise pas la dialectique du lien et du conflit. Et ce refus d'une intelligence du symbolique n'est pas neutre : une démarche d'objectivation nécessite d'affronter, comme l'indique Max Weber, des « faits désagréables », elle implique une autoanalyse, une remise en question.
En effet, notre bout de bâton établit un clivage entre frères, alliés et inconnus, adversaires potentiels. Et c'est ainsi que souvent fonctionnent des symboles religieux et non religieux : que l'on pense à la bataille pour donner à l'Europe le bâton d'un « héritage chrétien»
qui aurait relégué définitivement la Turquie musulmane...et laïque dans les ténèbres extérieurs, que l'on pense au drapeau, et, dans la France d'aujourd'hui, au bâton du prénom ou de la couleur de la peau pour obtenir un emploi ou un logement. Et il faudrait là parler longuement du problème de la « religion civile - répu­blicaine qui a eu aussi historiquement ses exclus : les femmes qui ne pouvaient avoir le droit de vote parce qu'elles étaient, soi-disant, « sous la dépendance du curé », les musulmans d'Algérie qui n'avaient pas droit à la citoyenneté parce qu'ils étaient censés ne pas partager la « profession de foi civile » (Claude Nicolet, citant implicitement Jean-Jacques Rousseau) républicaine. Aucune religion, qu'elle soit religieuse ou sécu­lière ne ressort indemne de l'analyse du symbolique. Aucune ne sort indemne de la transgression de la domination symbo­lique que représente un enseignement laïque des religions, dont le but est, précisément, de permettre à ceux qui sont extérieurs à telle ou telle conviction d'en avoir des clefs cul­turelles, des possibilités d'analyse. Il s'agit d'être capable de déconstruire le symbolique, sans le détruire pour autant, car adhésion ou refus restent affaire de choix personnel, de pra­tique sociale de la liberté de conscience.
Cette mutation épistémologique n'a-t-elle pas à voir avec la démocratie et la laïcité? L'autre est un autre nous-même. Il ne doit pas être considéré comme un ennemi, il ne doit pas être, au sens strict du terme, un in-connu. Ainsi des bâtons peuvent avoir des arêtes sans que leur non emboîte­ment soit une quasi-déclaration de guerre. Ainsi il existe des « dedans » et des « dehors » - sinon gare à la logique déshu­manisante de l'équivalence généralisée - tout en ouvrant lar­gement portes et fenêtres, en pratiquant l'accueil de l'autre, y compris en l'invitant chez soi. (…)

La laïcité dans le monde - M Chemillier-Gendreau

Monique Chemillier-Gendreau
Professeur à l'université Paris VII, membre de l'Union rationaliste

Source : Raison présente - "Une laïcité pour l'avenir" - N° 149-150

La question de la laïcité dans le monde mérite une réflexion spécifique car la problématique de la laïcité dans l'espace universel est différente de celle que nous connais­sons dans un pays comme la France ou à l'échelle européen­ne. Le niveau de gravité n'est pas identique, non plus que les termes du débat. En effet, en Europe, même dans les États qui n'affichent pas la laïcité comme principe constitutionnel ou dont les chefs d'État ont des fonctions religieuses, il y a un niveau de sécularisation du pouvoir suite à une longue histoi­re qui a commencé vers le xr ou xir siècles et qu'aucune autre région du monde n'a connu de la même façon.
Cette histoire a été celle des Deux corps du roi » (selon l'intitulé de l'ouvrage d'Ernst Kantorowicz, Gallimard. 1957) à travers laquelle le corps politique du souverain s'est trouvé soumis aux formes émergentes de constitutionnalisme, pre­mière expression de ce que l'on nomme aujourd'hui l'État de droit. Et l'invocation de l'origine divine du pouvoir n'a pas empêché la montée en puissance des légistes royaux ouvrant le sillon des premières formes (très limitées il est vrai dans la première période) de sécularisation. L'Église a résisté comme en a témoigné la « Querelle des investitures », mais une certai­ne sécularisation du pouvoir a cependant poursuivi sa route.
Cette histoire est étrangère aux autres continents et le mimétisme constitutionnel qui a fleuri dans certains États, notamment ceux du Proche Orient ou de l'Afrique sub-saha-rienne après la décolonisation, a exporté une sécularisation en trompe l'œil. Celle-ci s'est heurtée à un obstacle fonda­mental : en effet, cantonner le concept de religion en dehors du pouvoir temporel, conquête difficile et fragile de certaines sociétés chrétiennes, n'est pas compatible avec les fonde­ments de l'islamisme ou du judaïsme.
On peut donc affirmer qu'il n'y a pas de laïcité dans lemonde et mon sujet serait alors un non sujet. Paradoxalement,je vais m'y attarder cependant et développer ici trois séries de considérations : les premières pour prendre la mesure de cetteabsence de laïcité ; les secondes, pour montrer comment unmonde sans une laïcité bien comprise est un monde vouéimmanquablement à la destruction par des guerres incessantesi et sans merci; les troisièmes, enfin, pour relever toutes les incertitudes qui pèsent sur le contenu de la laïcité et les condi­tions non remplies pour en faire un concept universel. Il restedonc un important travail à mener pour convaincre du carac­tère impérativement universel de la laïcité.\ La laïcité est un concept inconnu dans le monde. Il est; inconnu à deux échelons : celui des États eux-mêmes et celuides relations entre les États. (_---)
Nous avons besoin désormais de l'affirmation d'un principe de laïcité dans le champ international pour deux rai­sons : comme une règle supérieure aux États et s'imposant à eux en sorte qu'un État ne pourrait plus pratiquer de discri­minations entre ses citoyens sur des bases religieuses ou de convictions quelles qu'elles soient. Nous avons vu que les textes qui existent sont très insuffisants et du point de vue de la clarté sur les principes et en force contraignante. Mais nous aurions besoin aussi d'un principe de laïcité mondiale pour présider aux relations entre États et aussi à ces relations nou­velles constitutives de la mondialisation qui sont des relations transnationales. Celles-ci sont le fait des acteurs sociaux très diversifiés qui caractérisent l'époque contemporaine : ONG, acteurs financiers, groupes de pression divers. Ils ont tous une action désormais transfrontière et sont dans beaucoup de situations marqués d'une appartenance religieuse quand ils ne sont pas des sous-marins des Églises. Il est vrai que parmi les élites gouvernantes de ces groupes, il y a souvent des per­sonnes éclairées (pas toujours), mais le fanatisme et l'aveu­glement l'emportent fréquemment à la base et l'on en arrive à la situation extrêmement explosive qui est la nôtre. Dans le monde entier, les affrontements entre États ou à l'intérieur des États sont mêlés d'antagonismes religieux.
La question de la laïcité est liée à celle de la commu­nauté politique, qu'il s'agisse des communautés politiques nationales constitutives des États modernes ou de la nécessité d'une communauté politique universelle encore toute entière à venir en dépit de l'urgence où nous sommes de la consti­tuer. Le problème est le même quelle que soit l'échelle de la communauté politique en jeu.
Dans les difficultés à vouloir constituer cette utopie d'un monde pacifié à travers un droit fondé sur la raison, il y a celle qui tient aux ambitions temporelles des grandes reli­gions. Celle qui agite le plus les cénacles actuellement est l'islam. Tout simplement parce que c'est celle qui affiche offi­ciellement la soumission de la loi temporelle à la loi divine. Ce qui est inquiétant, c'est qu'il n'y ait pas vraiment dans le monde de la pensée arabe contemporaine, de mouvement intellectuel capable d'entraîner cette sphère de la planète vers un réel mouvement de séparation du pouvoir temporel et du pouvoir religieux. Il semble que le travail des philosophes ou politologues arabes s'oriente plutôt pour le moment vers la recherche d'un travail de synthèse de la croyance et de la rai­son, mais non d'indépendance de la raison. ^
Une dernière série de remarques permet de pointer les plus graves difficultés. Pour prôner la laïcité dans le monde, il faut des arguments. L'argument principal est qu'il y a là une condition incontournable de la réalisation de la démocratie. Les quelques pays qui se prévalent d'une sécula­risation du pouvoir et de l'exercice de la démocratie sont aujourd'hui enfoncés sur ces deux terrains dans des contra­dictions régressives qu'il est impossible d'ignorer. La remarque est valable pour l'Europe, mais elle l'est principale­ment à l'échelle mondiale.
L'universalisme s'accomplit actuelle-1 ment par le marché qui déborde et affaiblit les États. Il enrésulte de violentes inégalités qui entraînent une remontéedes croyances les plus aveugles et les plus fanatiques. Il est vrai que les croyances se développent lorsque les sociétésI ont peur. Or, les sociétés prises dans le mouvement de la; mondialisation ont bien des motifs d'avoir peur, placéescomme elles le sont devant les menaces que représentent leschangements climatiques ou le développement des armes oui de l'industrie nucléaire. Il faut répondre à ces peurs par la rai­son. Or, les pays les plus avancés dans le domaine scienti­fique ne sont pas ceux dont les gouvernements sont les plusrassurants, ni les plus raisonnables. Et ils ne tirent pas. loin delà, les conséquences politiques rationnelles des données dela science. Alors que les périls sont universels, les replis sont\ communautaires et fondés sur des croyances qui en se dres­sant les unes contre les autres augmentent les menaces.; La crise de l'ONU liquide l'espérance de 1945, celle de! la création d'un lieu de solution des conflits à l'échelle inter- nationale. N'ayant ni la culture mondiale de la laïcité quiserait nécessaire, ni les institutions démocratiques permettantd'équilibrer les pouvoirs à l'échelle internationale, la société internationale n'a aucun outil de régulation de la violence,alors que le système économique élargit chaque jour lesinégalités. Ainsi la montée des violences dont nous sommesles témoins n'a-t-elle pas lieu de nous étonner