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mardi 6 mai 2003

Contre tout signe religieux à l'école

Catherine Kîntzler, Pierre-André Taguicff, Bernard Tepe, Michèle Tribalat *

Lorsque la première «affaire du voile islamique» a éclaté en 1989, les belles âmes ont prêché la tolérance: couvert par une aveugle bienveillance, le phénomène était voué il .s'éteindre de lui-même. Kt puis, pouvait-on imaginer une figure plus parfaite de la victime qu'une jeune fille voilée? Gomment la rigueur universaliste républicaine pouvait-elle oser s'en prendre a elle, fille d'immigré musulman, banlieusarde, asservie? La culpa­bilité post-colonialiste des beaux quartiers l'a ainsi laissée à sa condition d'intouchable; elle a consenti du même coup à exposer la musulmane non voilée à des persé­cutions bien réelles.
Loin de s'atténuer, le phénomène s'est au contraire développé. Encouragé par un laisser-fairc qui vaut cffectivement reconnaissance de l'obligation d'appartenance, il a déclenché une exaspération des antagonismes religieux exprimés il l'école publique.
Quand bien même le port du voile à l'école publique serait réductible à la manifestation d'une opinion reli­gieuse issue d'un «choix personnel», il n'en serait pas moins condamnable - de même que le port de la croix ou de la kippa -, mais coût le monde peut constater qu'il excède largement ectte dimension. Brandi parfois comme signe politique (comme l'ont montré les récents événe­ments au collège de Savigny-!e-Templc), il signe l'enfer­mement de la femme dans une communauté de repli. Sous prétexte de la « protéger • en la couvrant, il la dépouille de toute qualité en la réduisant à une particularité qu'elle n'a pas choisie: contrairement aux apparences, il s'agit bien d'une mise à nu, d'une dêpossession de soi.
Mais cet enfermement et cette dêpossession visent aussi bien les filles que les garçons. Ramenant les unes a la stricte condition d'épousables sur hori/on de mariages arrangés, interdisant aux uns de jeter les yeux sur elles, disant aux autres « elles vous sont réservées -, le port du voile disqualifie a priori tout rapport entre les sexes qui ne serait pas réductible à un pur échange social réglé autoritairement de l'extérieur; il annule toute prétention à la qualité personnelle et fait de la condition sociale le tout de la destination humaine. Il fait prévaloir l'emprise d'une appartenance culturelle exclusive, marque d'une identité collective dont le statut et le sens demeurent pour le moins ambigus (entre religieux et politique). Les partisans du voile font sonner bien fort leur attachement à la citoyenneté et à la liberté, mais c'est
pour mieux nier l'utilité d'une école républicaine mixte fondée sur le dépassement des données sociales par le développement acquis des talents personnels; ils savent s'appuyer sur les carénées de la législation actuelle pour mettre en échec la démarche courageuse d'ensei­gnants, de chefs d'établissement ou de parents d'élèves qui entendent faire respecter ces principes dans leur établissement.
Opposés au port du voile islamique à l'école publique, nous avons longtemps hésité à réclamer une loi, pensant que ce serait trop que de légiférer sur une matière qui pouvait apparaître comme particulière. Il aurait en effet été suffisant de rester ferme sur les principes dès le début. Mais, nourrie par les illusions multiculturalistes, la tolérance funeste (installée notamment par la loi de 1989 et les arrêts du Conseil d'État) qui règne depuis trop longtemps sur ce point pose maintenant, à travers le statut des femmes et au-delà de lui, la question générale de la reconnaissance d'une obligation d'appar­tenance. Le principe est que l'école doit Être soustraite à la pression de tout groupe politico-religieux quel qu'il soit. Il est grand temps de songer à assurer la liberté de conscience aussi pour ceux qui ne souhaitent afficher aucune "identité- particulière. La conviction religieuse, puisqu'elle est de l'ordre de la liberté, ne peut pas se manifester comme un absolu (ou une norme non négo­ciable) a l'école publique- lieu décisif où la liberté du citoyen se forme -, a fortiori elle ne peut certainement pas s'y signaler par une mainmise sur une portion de la population au nom de rôles sexuels autoritairement réglés. Interdire par la loi tout signe religieux à l'école publique et tout signe de discrimination, c'est clairemcnc signifier que personne n'est tenu de se définir a priori par une appartenance.
6 mai 2003


Catherine Kintzler est professeur de philosophie a l'université Lille III; Pierre-André Taguieff philosophe, directeur de recherche au CNRS; Bernard Tepe, président de l'union des familles laïques (Ufal}; Michèle Tribalat, directrice de recherche à l'Institut national d'études démo­graphiques (Ined).

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