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Ce blog contient un recueil de textes (1) qui nous ont paru intéressants dans le cadre des réflexions sur la question "Europe et laïcité".
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dimanche 31 mars 2002

Religion et connaissance - S P Rovanet

Source : Diogène n° 197

(...) Il est impossible de mentionner toutes les publications après septembre 2001 s'occupant de la religion, et qui ont culminé avec le lancement, en novembre, de l'épais volume de Régis Debray, Dieu, un itinéraire. À ce sujet, je veux me limiter à deux textes.
Le discours de Jûrgen Habermas à la réception du Prix de la Paix, attribué en octobre 2001 par la Chambre allemande du livre, a été des plus significatifs. Habermas n'a pas fait purement et sim­plement l'éloge de l'esprit laïque, ce que l'on pouvait attendre d'un sociologue d'origine marxiste, mais a parlé d'une société post­séculière, où aucun signe n'annonce la disparition de la religion en tant que fait social. Dans cette société, les croyants et les non-croyants doivent dialoguer. D'une part, chaque religion doit ap­prendre à vivre ensemble avec d'autres Églises, à accepter l'autorité de la science et les règles du jeu démocratique, qui obli­gent l'État à suivre les principes d'une morale profane. En outre, il faut que les croyants « traduisent » leurs convictions religieuses dans un langage laïque, s'ils veulent que leurs arguments soient débattus dans l'espace public. Ainsi, catholiques et protestants doivent traduire leur vision religieuse concernant la sacralité de l'embryon dans le langage séculier des droits humains. Mais le processus d'apprentissage ne peut pas être une rue à sens unique. Les non-croyants "doivent également faire un effort d'approche, en se rendant sensibles aux potentiels sémantiques de la tradition religieuse, qui souvent se perdent lors d'une transposition en lan­gage profane. C'est ce qui se passe lorsque le péché se convertit en faute et que la transgression des commandements divins est trans­formée en violation des lois humaines. Il n'existe pas d'équivalent séculier pour le concept de pardon, qui implique l'annulation de la souffrance imposée aux autres, et non la simple réparation d'une injustice. La fin de l'idée de résurrection rend irréalisable cette espérance désespérée de Walter Benjamin, lui-même influencé profondément par la religion judaïque, de sauver les morts, en cor­rigeant, par la remémoration, tous les massacres de l'histoire. Oui, il faut donner suite au processus de sécularisation, pourvu que ce soit une sécularisation rédemptrice, qui préserve les contenus de la religion, au lieu de les anéantir. On doit quitter la foi, sans se fer­mer à ses intuitions. Une société civile post-séculière, conclut Ha-
bermas, peut puiser dans la religion, même lorsqu'elle s'en éloigne, les ressources de sens qui deviennent de plus en plus rares dans une société dominée par le marché.
Deux mois après ce discours, en décembre de la même année, Habermas faisait la laudatio de Richard Rorty, à l'occasion de l'attribution du Prix Maître Eckhart au philosophe américain. Il y avait un certain humour surréaliste dans cette attribution d'un prix portant le nom du mystique allemand à un penseur qui se déclare athée, comme Rorty. Dans son discours de remerciement, Rorty n'a pas manqué de faire ressortir ce paradoxe, mais ceci ne l'a pas empêché de consacrer la totalité de sa conférence à la reli­gion. Signe des temps ? Peut-être, parce qu'au lieu d'argumenter en faveur de l'athéisme, Rorty a fait référence avec beaucoup de sympathie à un texte de Gianni Vattimo, Credere di credere (1997), où celui-ci fait une profession de foi catholique. Pour Vattimo, le christianisme n'a aucun rapport avec la vérité, et pour cette raison ne peut pas être réfuté (position digne d'être applaudie par un philosophe, comme Rorty, éduqué dans la tradition de la philoso-
i phie analytique), mais a un rapport avec l'amour, dans les termes du chapitre 13 de la première épître de Saint Paul aux Corin-
; thiens. Au moment de devenir homme, par l'Incarnation, Dieu a renoncé, par amour, à tout son pouvoir et à toute son autorité, en les transférant aux hommes. Le christianisme consiste dans cette auto-aliénation de Dieu, et de ce fait la sécularisation est la carac­téristique constitutive de l'expérience religieuse authentique. Le divin se trouve justement dans l'absence de Dieu. Rorty conclut en disant que sa principale divergence avec Vattimo réside dans le fait que pour celui-ci le sacré est situé dans le passé, dans l'acte d'amour par lequel Dieu renonce à commander les hommes, tandis que pour lui, Rorty, le sacré se trouve dans une espérance future, dans un état de choses où les hommes seraient libres et, autant que possible, égaux. Je ne sais pas si Rorty a lu La messe d'un athée, de Balzac, mais la conclusion de son discours pourrait avoir comme titre La prophétie d'un athée. Son athéisme a un son étran­gement religieux. Son utopie ressemble à s'y méprendre à une uto­pie messianique, et pour ne laisser aucun doute, il utilise pour la décrire l'adjectif «sacré ». (...)

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