Professeur à L'université de Lille III
Quelques ambiguités de vocabulaire doivent être levées dès l'abord. En dehors du champ, !e terme du langage syndical, confédération, désigne simplement une fédération de fédérations, Mais, et cela est plus gênant, les juristes eux-mêmes n'utilisent pas toujours les deux termes à bon escient. C'est ainsi que la Confédération helvétique n'est pas, malgré son nom, une confédération, mais bien une fédération. De même, la Confédération du Canada est une fédération.
En fait, la confédération est un groupement d'États, qui repose sur un traité. Les États conservent leur souveraineté ; ils coopèrent pour diverses activités (en général, défense, économie, monnaie). II n'y a pas de structure étatique, de super-État.
Au contraire, dans une fédération, les États abandonnent leur souveraineté. Il y a dissolution des États (au sens d'État-nation) pour aller vers des États (au sens d'État-membre). C'est là une source de confusion habituelle dans la quasi-totalité des langues : État est employé dans deux sens entièrement différents. Dans le cas des confédérations, les États demeurent souverains (ils ont une représentation diplomatique, une armée nationale, etc.) ; dans le cas des fédérations, les États n'incarnent pas l'État - l'État supra-étatique étant l'État fédéral (1). En français, on joue souvent sur la majuscule ou la minuscule,
(...)
LE PROBLÈME
DES VALEURS :
LA LAÏCITÉ MENACÉE
Nation, patrie, identité nationale (3), etc. n'existent pas. Ce qui existe, c'est l'identité culturelle, il n'y a pas d'identité nationale autre que culturelle (l'inverse n'est pas vrai : il y a une culture arabe par exemple), les habitants d'un même territoire/pays se reconnaissent (entre eux et vis-à-vis des autres) à un certain nombre de valeurs, dont la laïcité.
Or là tout se gâte. On peut citer quantité de textes montrant que la laïcité est une idée rare en Europe (France et Portugal) : la Constitution de la RFA par exemple (- loi fondamentale » du 23 mai 1949) est placée sous l'égide de Dieu : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes (...) le peuple allemand etc. - Mais il y a mieux à faire que de répéter sans cesse que la laïcité est rare. C'est de voir l'historique de la construction européenne en remontant du plus près au plus loin.
La démocratie chrétienne (Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Robert Schuman, avec appui du MRP de la DC (Italie), du PSC (parti social chrétien belge), et du CDU de RFA) constitue l'origine immédiate.
Ces démocrates — chrétiens et démocrates — sociaux puisent leur doctrine chez trois Français : Lamennais (1782-1854), Lacor-daire (1802-1861), Montalembert (1810-1870), tous trois promoteurs, avant les partis de gauche et le mouvement socialiste, de l'idéal de laïcité et de séparation stricte, dans l'intérêt même de l'Église et par dégoût de l'union du sabre et du goupillon, de l'État et de l'Église.
Mais la démocratie chrétienne a abandonné cet aspect, reprouvé dès l'époque par la hiérarchie épiscopale et la papauté, pour ne garder de leur message que l'aspect social de leur christianisme.
Ainsi Philippe Buchez (1796-1865) qui militait, dès 1832 dans son journal L'Européen pour une « fédération européenne » fondée sur l'égalité et la foi chrétienne (repris par Luigi Sturzo, 1871-1959, en Italie).
C'est l'Empire romain chrétien (Constantin) ou l'Église médiévale avant le schisme et allant jusqu'à l'URSS et à la Turquie. C'est le patrimoine chrétien qui est le seul revendiqué. On a pu remplir (4) des volumes recensant par le menu tous les acteurs qui ont souhaité, annoncé et parfois décrit par le menu l'unité européenne.
Ce n'est pas d'eux que se sont réclamés les pères fondateurs de l'Europe, mais de Bûchez, de Lacordaire, etc.
Le pape est donc dans une logique incomparable lorsqu'il proclame : * L'Europe sera chrétienne ou ne sera pas. »
On aboutit ainsi à un dramatique paradoxe : l'Europe a inventé le concept d'Etat-nation (et pensé le cadre de la vie politique) qui a complété le concept de démocratie inventé par les Grecs. Puis l'État-nation, inventé par la France, a rencontré le parlementarisme inventé par l'Angleterre. Or le but ultime de l'Europe pensée dans les années 50 serait de supprimer les États-nations pour revenir à la romanitas, la pax romana, ou plutôt la Pax christiana.
Le problème de l'Europe à venir (5) est donc celui du choix entre deux types d'Europe :
— celle voulue par ses créateurs, qui tourne le dos à la tradition européenne issue des idéaux de 1789 complétés par la laïcité ;
— une Europe dans la lignée de ce que voulait Goethe ou Hugo, des États unis d'Europe fondés sur les valeurs républicaines.
Il s'agit, bien entendu, de l'Europe politique. L'« autre » Europe, celle du capital saura, n'en doutons pas, s'accommoder de tout type de fédération et de constitution, sauf à réaliser une Europe socialiste. Mais là, ce sont les aléas de la politique et les élections successives qui en décideront.
On se trouve face à deux discours inconciliables :
— Le citoyen, c'est la nation (non à l'Europe) ;
— Europe, Europe, Europe. C'est la panacée.
Je crois que l'avenir est une confédération (passant en une génération à une fédération) mondiale qui, elle seule, sera à même de régler ce que le monde contemporain (en gros depuis le Congrès de Vienne en 1815) a cru
— contre le cours millénaire de l'Histoire — pouvoir fixer arbitrairement : les frontières et surtout les peuples qui, inexorablement, ont repris leur mouvement et leurs migrations.
Les nationalismes et le tribalisme vont dans un premier temps s'exacerber, plusieurs pays s'éclater, plusieurs états se fédérer (et l'Europe y va tout droit) et l'on ira vers l'intégration mondiale. Le futur citoyen, c'est le citoyen du monde, le cosmo-polite que se voulait Diogène.
L'histoire de chaque pays est-elle pour autant finie ? L'histoire de France, peut-être, l'histoire des Français, non.
Aucun pays dans l'histoire n'a duré plus de 1500 ans en l'état, à l'exception de la Chine, mais son territoire et surtout les peuples qui l'ont composée se sont modifiés. La France n'a aucun rapport, si ce n'est symbolique et idéologique, avec la Gaule, qui d'ailleurs n'a jamais été un pays.
Nous assistons à une métamorphose — avec toutes les douleurs qui l'accompagnent — du monde, à un déchirement des peaux qui ont façonné la figure de pays que l'on s'est plus à croire étemels.
Ce qui subsistera, c'est l'identité culturelle française, de même que les Arabes, les Mongols ou les Slaves existent indépendamment des variations territoriales et des avatars de leur histoire. Sans parler des Juifs ou des Arméniens, dont l'histoire et l'identité transcendent l'historicité des événements.
Mais l'Europe, la France, ne se sont pas créées autour d'un Temple ou d'une Église, ni à partir d'un mythe des origines fondé sur une révélation. L'identité européenne et sa gloire, c'est d'avoir créé la dimension, la citoyenneté, les droits de l'homme, l'État-naù'on, et l'on sait la part que la France a prise dans ces deux dernières avancées de l'esprit humain.
Or cette « foi » en l'humanisme, c'est-à-dire dans les capacités de progrès de l'homme en tant qu'individu et non en tant que créature, c'est la base de la laïcité, seule garantie, comme le montre le sens même des termes (6), d'une Europe unie démocratique. •
NOTES :
(1) Encore que, par exception notable, deux Républiques de la Fédération soviétique (URSS), la Biélorussie et l'Ukraine, soient représentées à l'ONU.
(2) Vaclav Havel s'est opposé le 29 juin à la transformation de la République tchèque et slovaque en une confédération, contre la proposition du Premier ministre du gouvernement slovaque, Vladimir Méciar.
(3) Des dizaines de textes contradictoires, pour essayer de les (non) définir, de 1789 à de Gaulle, en passant par Renan, Jaurès et Barrés.
(4) Voir Denis de Rougemont, Vingt-Huit siècles d'Europe. La conscience européenne à travers les textes, d'Hésiode à dos jours. Fayot, 1961.
(5) Si on ne décide pas que la confédération (CEE) doit se dissoudre.
(6) Laos et démos désignent tous deux le peuple en grec.
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